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Le rôle de la moto au cinéma

Juste la fin du monde, diffusion du samedi 24 mars 2018 à 01h25

Bouleversante ou insupportable? Avec cette adaptation à l’écran d’une pièce de théâtre sur les névroses familiales, le réalisateur prodige divise nos critiques. Critique : POUR  Ce sixième long métrage de Xavier Dolan est aussi le premier où nul accent québécois ne retentit — les acteurs sont tous français. Il y a déjà un petit miracle dans la préservation du style du cinéaste sans sa signature sonore la plus repérable. L'équilibre, plutôt le déséquilibre, entre outrance et acuité, entre drame et comédie, qui a fait l'éclat des films précédents, est bien là, tout de suite, mais dans une autre « musique ». Presque une langue différente. D'emblée, il y a aussi la force de la pièce de Jean-Luc Lagarce que Xavier Dolan adapte, en la modifiant beaucoup. Avec ce texte reviennent, en filigrane, les douleurs d'une époque déjà lointaine, où il était fréquent de mourir du sida — comme Lagarce, en 1995. Et où l'homophobie, plus virulente encore qu'aujourd'hui, déchirait les familles concernées. Même gommé (l'action se situe « quelque part, il y a quelque temps »), ce contexte infuse le film. Le héros (Gaspard Ulliel, doux et fantomatique), 34 ans, revient dans sa modeste famille provinciale, avec le projet d'annoncer sa mort prochaine. Il n'a pas vu sa mère, son frère aîné ni sa petite soeur depuis douze ans. Il n'a jamais rencontré sa belle-soeur, même à l'occasion de la naissance de ses neveux. Il écrit pour le théâtre, dans la capitale. Dès le retour du jeune homme à la maison, Juste la fin du monde suggère l'impossibilité de la moindre communication entre ces êtres. Plus rien (ni personne) n'est comme avant. Ecrasé par la mélancolie, le revenant n'arrive pas à dire. Les autres ne veulent pas, ne peuvent pas entendre ce qu'ils devinent sans doute. C'est un moment de gêne absolue et de diversions hystériques. Un moment où toutes les névroses familiales, les jalousies, les frustrations, mais aussi les adorations, encore plus inavouables, se rejouent une dernière fois, dans le chaos. Depuis J'ai tué ma mère jusqu'à Mommy, c'est la honte de soi qui sépare les membres d'une famille dans les films de Xavier Dolan. L'affinité avec la pièce de Lagarce paraît donc totale. D'autant que le réalisateur ne commet pas l'erreur de fuir le théâtre : il le revendique, comme pour Tom à la ferme. Hormis une violente scène en voiture entre les deux frères (et encore, on reste dans l'habitacle, avec eux), le huis clos est assumé. Mais des bouffées de lyrisme impromptues, sans ­parole, viennent régulièrement suspendre la dispute familiale. Tout se joue alors sur les visages en gros plan, dans les échanges de regards, d'une ­intensité magnifique. A chaque comédien Xavier Dolan donne le temps de livrer de l'inédit. Il ose étirer les scènes plus que de raison, pour faire surgir des nuances et des intonations bouleversantes. Le grand frère prolo et ordurier (Vincent Cassel) semble d'abord un faire-valoir comique, jusqu'à ce que ses fêlures, hurlées, envahissent l'espace. La nervosité fofolle de la mère peinturlurée (Nathalie Baye) dévoile peu à peu une folie plus profonde, peut-être proche de la sagesse. La belle-soeur effacée et bafouillante (Marion Cotillard) devient une belle figure de la compassion, en même temps qu'une vestale de la vie qui doit continuer... Faire jouer à ces acteurs-là (sans oublier Léa Seydoux), tous célèbres et rayonnants, une partition aussi noire, radicale et minoritaire, d'un dramaturge plutôt méconnu, voilà un geste artistique fort et ambitieux. Une manière exemplaire d'entretenir la flamme de la cinéphilie. — Louis Guichard CONTRE  Sachons au moins reconnaître à Xavier Dolan le mérite de ne pas avoir cherché à capitaliser sur le triomphe de Mommy en séduisant à tout prix. Certes, il s'est choisi une pléiade d'acteurs, et pas la moins « bankable » qui soit. Certes, il balance toujours des tubes racoleurs (Moby...) : c'est son péché pas si mignon. Pour le reste, il n'y a pas grand-chose d'aimable dans ce psychodrame familial en huis clos. Où les acteurs sont volontiers disgracieux. Où l'on suffoque très vite, l'asphyxie durant jusqu'au bout et ravivant un vieux concept, qu'on croyait révolu : le théâtre filmé. Quelle mouche a donc piqué le cinéaste pour qu'il aille chercher cette pièce de Jean-Luc Lagarce ? Elle semble bien datée, écrite en réaction au tabou écrasant du sida qui sévissait dans les années 1980. Plus embêtant encore : le cinéaste commet une erreur de débutant, en voulant à tout prix, à partir de la pièce, « faire cinéma ». Le recours systématique aux gros plans et le montage syncopé rappellent par moments l'hystérie des moins bons films de Patrice Chéreau (Ceux qui m'aiment prendront le train)... Ça parle beaucoup, ça soliloque, ça tourne méchamment en rond ou ça fait du surplace. Rien ne se dit, au fond. On a compris que c'était là le sujet : la claustration et la frustration de chacun, le déni, l'impuissance. Mais c'est moins cela en vérité qui est ici ausculté que la propre vanité de Dolan, ivre de son cinéma. Typique d'une forme de néo-pompiérisme de cinéma d'auteur, Juste la fin du monde est juste d'un ennui mortel. — Jacques Morice

Le rôle de la moto au cinéma

Juste la fin du monde, diffusion du vendredi 02 mars 2018 à 10h40