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Le rôle de la moto au cinéma

Les adieux à la reine, diffusion du jeudi 22 février 2018 à 13h35

Les premiers jours de la Révolution française vus de Versailles. Benoit Jacquot dynamite le film historique en dressant des ponts avec le présent et offre à son héroïne (Léa Seydoux, parfaite) une éducation sentimentale en accéléré. Brillantissime ! Critique : On sait que, dans son journal intime, à la date du 14 juillet 1789, Louis XVI se contenta d'un mot : « Rien ». Bien sûr, il s'agissait d'un carnet de chasse, et les nouvelles circulaient moins vite qu'aujourd'hui... Il se passait, pourtant, toujours quelque chose au château de Versailles, et c'est ce que montre avec énormément de brio, et pas mal de malice, Les Adieux à la reine, de Benoit Jacquot. Les quatre premiers jours de la Révolution vus par les yeux d'une jeune (et jolie) lectrice de la reine, Sidonie Laborde. Quatre jours qui ébranlèrent la monarchie ? Qui la réduisirent en miettes, plutôt, annonçant l'engrenage qui allait suivre, décapitations comprises. Pagaille, effroi, fuites avortées et trahisons en tout genre : un monde clos pressent sa propre fin, comme sur le Titanic. Topographie d'un naufrage. Dans les pas de Sidonie (Léa Seydoux), le spectateur décou­vre les moeurs étranges qui régnaient à Versailles : la coha­bitation forcée de la famille royale, des courtisans de toutes sortes, des domestiques plus ou moins bien intentionnés. Promiscuité ultra hiérarchisée, dont les règles - les rituels - ne demandent qu'à exploser : chacun, à l'aube des grands chan­gements, ne travaille bientôt plus qu'à sa propre survie. Si le récit de Chantal Thomas, dont le roman a nourri le scénario, était affaire d'historienne inspirée - prétexte romanesque pour reconstitution minutieuse -, le film est autre chose. Non pas une leçon du passé à l'usage d'aujourd'hui, garantie d'ennui. Plutôt l'exploration amusée, très astucieuse, de correspondances entre l'Ancien Régime et notre époque, tout aussi inégalitaire - une nuit du 4 août, convenez-en, ne ferait pas de mal. Libre au spectateur de voir ou non dans ce monde qui s'écroule un clin d'oeil à nos temps troublés - le capitalisme financier à l'agonie, par exemple. Mais il est licite de comparer la position de l'héroïne, fascinée par la reine qu'elle sert avec ­ardeur, à celle, très contemporaine, d'une fan vivant le rêve de côtoyer son idole. A Versailles, d'ailleurs, on ne parle que coucheries, chiffons et divertissements, comme dans la presse people d'aujourd'hui... C'est ce que suggérait déjà Marie Antoinette, de Sofia Coppola. Benoit Jacquot enfonce le clou : la reine, incarnée par Diane Kruger, parfaite de fausse douceur et de vraie morgue, est une « star » compulsant son « Cahier des atours » - le bréviaire de l'élégance - comme une actrice dans un palace feuilletterait Vogue. Quant à sa favorite, sa maîtresse peut-être, la duchesse de Polignac, Virginie Ledoyen prend soin de la faire déambuler comme sur un podium un jour de défilé. Léa Seydoux, l'une des jeunes comédiennes les plus douées du moment, et certainement la baby star la plus troublante, prête à Sidonie son charme, et plus encore : sur son visage se ­lisent émerveillement et effroi, inquiétude et curiosité, désir et timidité. Benoit Jacquot en fait une page blanche, ou d'un rose gracieux, sur laquelle s'impriment des sensations nouvelles et contradictoires, qui se suc­cèdent à grande vitesse. Une éducation sentimentale en accéléré, comme si le chaos politique entraînait un dérèglement généralisé des sens. Il y a des choses qu'on ne dit à Sidonie qu'à l'oreille, dans un murmure : ce sont celles du sexe et d'une révolution qui ne porte pas encore son nom... Tout vient la corrompre - les jeunes filles sortent rarement indemnes des films du cinéaste. Au cloaque de Versailles - et ses moustiques qui altèrent le « si joli petit bras potelé » (dixit la reine, gourmande) - s'ajoutent les stratégies des puissants. « Je suis d'accord pour Marivaux », a dit Marie-Antoinette, alors que sa lectrice cherchait un auteur à lire. Comment donc : voilà ­Sidonie bientôt prise dans un marivaudage savant et cruel, un jeu de rôles que lui impose la souveraine, prête à abuser de sa servilité ou de son amour. Le talent de Benoit Jacquot est de donner à cet itinéraire sacrificiel une savoureuse logique de cauchemar : ballottée d'un bout à l'autre de Versailles, son héroïne arpente des couloirs sans fin, trébuche, se relève. Elle est une Alice aimantée et persécutée par sa reine de coeur... En un plan-séquence virtuose, une nuit blanche devient un bal des spectres, ronde de vieillards affolés, danse de vampires exsangues. Le soin apporté à chaque second rôle - Xavier Beauvois dans le rôle du roi, Noémie Lvovsky, Hervé Pierre, Michel Robin - donne vie à cette apocalypse sous les ors et sert à merveille ce qui passionne Benoit Jacquot : l'élégant décortiquage de la psyché d'une jeune fille. Sans anesthésie, avec humour : délectable vivisection !

Le rôle de la moto au cinéma

Les adieux à la reine, diffusion du mercredi 21 février 2018 à 20h55